C’est le sculpteur Auguste Rodin qui incita le peintre Henri Le Sidaner à s’établir à Beauvais où lui-même adolescent avait goûté « la France de Corot » et s’était initié à la science des cathédrales, selon la formule de Pierre Troyon (La Revue des deux mondes, décembre 1927). L’artiste arrive dans la petite ville médiévale en juillet 1900 et s’installe rue Feutrier, actuelle rue Jean Vast, qui donne sur le transept sud de la cathédrale Saint-Pierre. C’est au bout de cette petite rue étroite que tous les graveurs, peintres ou dessinateurs se plaçaient pour saisir dans toute sa hauteur le monument vertigineux, aux arcs-boutants hérissés de pinacles, et dont le portail sud est décoré d’une dentelle de pierre flamboyante.
Peint en 1900, ce tableau annonce un tournant dans l’œuvre du peintre qui cherche à redéfinir son art. Après le succès de ses toiles dites « flamandes » aux sombres effets nocturnes, dans lesquelles on ressent la solitude et le silence de son séjour à Bruges marqué par l’influence du roman de Georges Rodenbach, Bruges-la-morte, Le Sidaner aspire à retrouver la lumière du jour d'une petite ville de province. À Paris, une certaine notoriété l’avait précédé grâce à l’accueil chaleureux fait à son dernier grand tableau symboliste, Le Dimanche, exposé en 1898 au Salon (musée de la Chartreuse de Douai). Il fut admiré par Henri Martin, Ernest Laurent, Edmond Aman-Jean, ses amis peintres, et le critique Camille Mauclair qui deviendra son biographe. Une galerie importante, la galerie Georges-Petit, devient son marchand exclusif.
Sa courte étape à Beauvais confirme le retour d’une palette colorée et d'une facture néo-impressionniste. En procédant par touches colorées fractionnées et superposées, il obtient ce ruissellement lumineux et vibrant qui lui permet de fusionner la couleur du motif et l’éclat de la lumière. Dans cette toile il met ainsi en valeur les derniers feux du soleil avant le crépuscule. La présence de cette lumière est accentuée par le contraste des maisons très basses déjà dans l’ombre. En 1905, le peintre reprit son tableau pour donner un accent de campagne à la rue, en faisant courir sur le mur une vigne vierge et en ajoutant des fenêtres à la maison de droite. Ces notations pittoresques faisaient florès à Gerberoy, un village de l’Oise où il habitait à la belle saison. Pendant près de quarante ans, il en fera d'ailleurs sa source d’inspiration toujours renouvelée, centrée sur son jardin et sa maison.
C’est à Gerberoy, semble-t-il, qu’il renonce à représenter la figure humaine. Le Sidaner y peint de mémoire, à l’intérieur de son atelier, s’aidant d’un dessin sur nature ou d’une petite ébauche peinte à grands coups de pinceaux. En quête de nouveaux éblouissements, il parcourt chaque année divers régions et pays, notamment la Bretagne et l’Italie, travaillant par séries, d’un site à l’autre, et attirant un public d’amateurs toujours plus nombreux.