Peinte en 1767 par Jean-Baptiste Le Prince, cette œuvre montre une vieille femme assise, vêtue d’un riche costume à la russe, lisant les lignes de la main à une jeune femme accompagnée d’un homme, tous deux debout devant elle. Le plan est serré sur ces trois personnages qui se trouvent devant une large tenture tendue, bloquant toute ouverture sur l’horizon. En haut à gauche quelques branches de feuillage s’échappant de l’embrasure ménagée dans la toile à droite constituent le cadre restreint de cette scène d’extérieur.
Peu avant 1767, on commanda à Le Prince une série de six cartons de tapisserie sur le thème des Jeux russiens pour qu’ils soient tissés par la Manufacture nationale de la tapisserie de Beauvais. Ce tableau est une étude préparatoire à l’un de ces cartons. Il représente la scène principale d’une tenture plus large dont on peut voir un exemplaire dans le salon des tapisseries du musée Jacquemart-André à Paris. Le Prince était le plus à même de composer sur ce thème car, entre 1757 et 1762, il vécut en Russie où il devint peintre officiel de la cour impériale et voyagea jusqu’aux confins de la Sibérie. À son retour en France, il introduisit la mode des Russeries, qui succédèrent aux Chinoiseries tout en participant de la même vogue de l’exotisme. Ainsi, au Salon de 1765, il exposa quinze toiles, toutes sur des sujets russes. Mais reconnaît-on réellement la Russie dans la peinture de Le Prince ?
Le Prince était un élève de François Boucher, auquel il emprunte son style très décoratif. Les vêtements des personnages de notre tableau sont ainsi mis en valeur par la subtilité des coloris choisis, par les éclats de lumière faisant ressortir les matières soyeuses et très raffinées. D’ailleurs, portés par une simple diseuse de bonne aventure, ils en sont presqu’incongrus. L’accoutrement quelque peu théâtral de nos protagonistes est plus coquet qu’ethnographique… Le Prince choisit donc de répondre de façon pragmatique à la commande qui lui est faite. La tapisserie étant un élément de décor d’intérieur, elle doit répondre à certains canons classiques de composition, d’élégance des personnages et des sujets. Même le thème de la bohémienne, récurrent depuis les peintures du Caravage au XVIe siècle et censé symboliser la trivialité du monde, perd ici de son essence morale au profit du charme de la scénette.